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peut dire : « Vous avez eu besoin de moi, je n’ai pas besoin de vous, » est aujourd’hui le véritable supérieur. C’étoit peut-être mieux autrefois, mais c’est comme cela maintenant. Ce que l’homme a perdu en pouvoir, les hommes l’ont gagné.

La vie, le bonheur, l’infortune, tiennent à un souffle. Vous mourez : deux heures après on ne pense plus à vous. Vous vivez, on n’y pense pas davantage. Qu’importent vos joies, vos peines, votre existence, non seulement à votre voisin qui ne vous a jamais vu, mais encore à cette tourbe qu’on appelle vos amis ? Pourquoi donc se faire une affaire de la vie ? elle ne mérite pas la moindre attention.

Quelquefois on oublie un moment ses douleurs ; puis on les reprend comme un fardeau qu’on auroit déposé un moment, pour se délasser.

On finit par transformer en réalité les craintes de la tendresse : une mère voit sur le visage de son fils des marques d’une maladie qui n’y sont pas. Les autres chimères de la vie, au moral et au physique, produisent les mêmes illusions pour la peine ou le plaisir.

On se réconcilie avec un ennemi qui nous est inférieur pour les qualités du cœur ou de l’esprit ; on ne pardonne jamais à celui qui nous surpasse par l’ame et le génie.