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des imbécilles au ministère caresse deux passions du cœur humain, l’ambition et l’envie.

La médiocrité est assez souvent secondée par des circonstances qui donnent à ses desseins un air de profondeur. Ces hommes impuissants qui, pour la foule, paroissent diriger la fortune, sont tout simplement conduits par elle : comme ils lui donnent la main, on croit qu’ils la mènent.

Les hommes de génie sont ordinairement enfants de leur siècle ; ils en sont comme l’abrégé ; ils en représentent les lumières, les opinions et l’esprit ; mais quelquefois aussi ils naissent ou trop tôt ou trop tard. S’ils naissent trop tôt, avant leur siècle naturel, ils passent ignorés ; leur gloire ne commence qu’après eux, lorsque le siècle auquel ils devoient appartenir est éclos ; s’ils naissent trop tard, après leur siècle naturel, ils ne peuvent rien, et ils n’arrivent point à une renommée durable. On les regarde un moment par curiosité, comme on regarderoit les vieillards se promenant sur les places publiques avec les habits de leur temps. Ces hommes de génie qui arrivent trop tard sont donc méconnus comme les hommes de génie qui arrivent trop tôt ; mais ils n’ont pas comme ces derniers un avenir, une postérité, des descendants pour établir leur gloire : ils ne pourroient être admirés que du passé, que de leurs devanciers, que des morts, public silencieux.

Après des temps de malheur et de gloire, un