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L’ÉTAT PSYCHIQUE PENDANT LA GROSSESSE

le pubis, mais, comme cela m’arriva souvent, je ne rapprochais pas les deux renseignements l’un de l’autre.

Comme ou voit, la sensualité et la grossièreté m’entouraient à la campagne et pourtant je restais complètement innocent. Cela s’explique par cette circonstance que je vivais alors surtout dans un monde intérieur de rêveries et d’images fictives. Je me figurais tantôt dans le rôle de Godefroi de Bouillon, tantôt dans celui de Fernan Cortez ou de Livingstone. La tête remplie des Croisades et des romans de Walter Scott, j’observais peu le monde actuel qui m’intéressait médiocrement. Il est vrai que, lorsque je ne lisais pas, je m’adonnais aux exercices physiques : équitation, natation, canotage à rame et à voile ; je sautais les fossés, escaladais les murs, grimpais sur les arbres les plus hauts et même chassais, non sans succès, avec les gros fusils de mon oncle, étant assez robuste pour les manier. Mais pendant tous ces exercices je jouais à quelque personnage imaginaire. Je me figurais être Mungo Park ou Barth ou Speke ou Grant ou René Caillé ou Gordon Cumming (rarement, car je ne l’aimais pas, le trouvant trop impitoyable pour les bêtes nobles telles que l’éléphant.) ou Jules Gérard, le tueur de lions ! Tantôt je pensais aux personnages historiques, tantôt aux héros des romans de Mayne Reid, de Jules Verne, de Fenimore Cooper, de Gabriel Ferry, tantôt aux différents voyageurs dont je lisais les explorations dans le Tour du Monde, illustré français auquel nous étions abonnés. Quand je tuais un corbeau ou une caille, c’était pour moi un condor ou un oiseau de paradis ; quand j’entrais dans mon canot, je m’embarquais pour la découverte de l’Amérique ou pour la conquête de Jérusalem ; escalader un mur, c’était traverser les Cordillères, etc. D’autre part, n’ayant pas autour de moi de compagnons de mon âge, je causais très peu et, Comme dit le poète français : « Je marchais tout vivant dans mon rêve. » Quand je ne comprenais pas ce qu’on disait en ma présence, je ne demandais jamais d’éclaircissements, soit par timidité, soit par orgueil, et je feignais de comprendre. Voilà pourquoi le mystère sexuel ne se dévoila pas devant moi à cette époque.