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APPENDICE

les soldats français et anglais qui ont été tous jusqu’au dernier exterminés sous Sébastopol et cela me paraissait bien plus vraisemblable. Pendant la guerre russo-turque de 1877-1878, mes parents (ce que j’ignorais, du reste, alors) désiraient, par haine du gouvernement, la défaite de la Russie. Moi, je lisais passionnément les journaux et m’exaltais au récit des victoires de mes compatriotes (les revers n’étaient jamais avoués par la presse russe) ; je rageais d’être enfant et de ne pouvoir m’enrôler dans les troupes pour combattre à côté de mes amis les hussards. Les généraux Gourko et Skobéleff étaient mes héros préférés.

Vers la même époque (entre 8 et 9 ans) je faillis devenir croyant. Mes deux sœurs et moi, nous avions été élevés en dehors de toute religion, ce qui est le cas de presque tous les enfants d’ « intellectuels » en Russie. On ne sait pas assez en Europe que les classes instruites en Russie sont totalement irréligieuses et athées. On juge la Russie d’après des esprits exceptionnels, tels que Tolstoï ou Dostoïevski. Leur mysticisme, leur christianisme est complètement étranger à la société éclairée en Russie. Et les femmes, chez nous, sont aussi peu croyantes que les hommes. Nous autres, Russes, nous ne pouvons même comprendre comment les gens instruits, dans l’Europe occidentale et surtout en Angleterre, s’intéressent tellement aux questions religieuses ; nous nous étonnons que des Anglais intelligents, et quelquefois savants, aillent dans un temple pour écouter les banalités morales, et les plats lieux communs d’un prédicateur ; l’habitude anglaise de lire sans cesse la Bible, de la citer en toute occasion, nous paraît une manie étrange, car nous trouvons qu’il y a des milliers de livres plus instructifs, plus agréables, plus intéressants à tous les points de vue que la Bible. De même, lorsque nous apprenons que, dans les pays de l’Europe occidentale, des savants et des philosophes, des penseurs sérieux discutent pour savoir si le sentiment religieux est éternel et si l’humanité pourra jamais s’en passer, nous ne pouvons pas cacher notre surprise, puisque nous vivons dans un milieu où tout sentiment religieux a disparu sans laisser de trace. Comment pouvons-nous