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APPENDICE

peuple (un petit moujik) que je ne connaissais pas, me dit en me montrant du doigt une de mes sœurs : « Est-ce que tu la fous ? »

À cette époque nous avions une institutrice française, très brave fille que nous aimions beaucoup. Elle me faisait lire des livres français, ce que je faisais avec passion, surtout quand c’étaient des livres de voyages ou d’aventures de guerre. Je ne redoutais Mlle Pauline que lorsqu’elle m’enseignait le piano : j’abhorrais l’exercice qui consiste à taper sur le clavier. Nous aimions bien aussi notre femme de chambre et je ne sais pas ce que je préférais écouter : les chansons provençales que chantait Mlle Pauline en s’accompagnant du piano ou les contes de fées que nous racontait la femme de chambre Pélagie. J’avais la ferme intention de devenir plus tard un explorateur du centre de l’Afrique, mais je voulais y voyager avec ma femme, comme Bekker dont je lisais les voyages. Je me demandais seulement qui je devais épouser, Mlle Pauline ou Pélagie. Je comprenais que, pour un voyageur, il était plus pratique d’avoir une femme comme Pélagie, fille du peuple, forte et sachant cuisiner. Mais j’avais plus d’affection pour Mlle Pauline et puis, elle était plus instruite et sa conversation était plus intéressante. Il valait donc mieux l’emmener avec moi, d’autant plus qu’au désert il n’y avait pas de piano pour me tourmenter avec les gammes. Mais une fois j’ai entendu dire à quelqu’un que Rubinstein voyageait avec un petit piano portatif muet pour ne pas laisser « se rouiller » ses doigts en voyage. Alors j’ai eu peur que Mlle Pauline n’emportât avec elle en voyage un piano portatif pour m’obliger à faire dessus les odieux exercices. À cette idée tout mon courage d’explorateur africain m’abandonnait. Cela fit pencher la balance en faveur de Pélagie à qui j’ai déclaré solennellement mon intention de la prendre pour femme quand je deviendrais grand pour être accompagné par elle dans mes explorations en Afrique, à quoi elle consentit de bon cœur.

À cette époque de ma vie, j’étais plein d’affection pour toutes les personnes qui m’entouraient. J’aimais Mlle Pauline et les domestiques (surtout Pélagie) autant que mes parents, mais j’adorais sur-