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attachée leur double nature. Il me paraît, ajouta-t-il, qu’Ésope, s’il avait pensé à cela, aurait pu en composer une fable : « La Divinité désirant mettre un terme à leurs luttes, mais n’y réussissant pas, leur attacha ensemble leurs deux têtes réunies ; voilà pourquoi où se présente l’un, c’est l’autre qui vient derrière[1]. » Platon a composé une courte fable étiologique. À défaut d’Ésope, un autre a exaucé le vœu de Platon, en utilisant sa pensée d’une autre façon, moins philosophique, et plus simple, plus touchante aussi. Mais est-ce un Byzantin qui aurait mis en œuvre la pensée de Platon avec ce naturel et cette simplicité ? Une telle fable porte avec elle sa marque d’origine, et sa naissance ne doit pas être bien loin du temps de Platon lui-même.


Tout est païen dans le recueil P.

Une autre preuve de l’antiquité de nos fables, c’est leur caractère païen. C’est toujours des dieux qu’il est question ; c’est la religion, les mœurs, les sentiments païens qui s’expriment dans toutes les compositions de notre recueil. Croit-on que, si elles dataient de l’époque byzantine, on n’y retrouverait pas cent traits fondés sur la piété et les croyances de cette époque ? Or, on n’y trouve même pas une moralité qui rappelle le christianisme ; aucun scribe n’en a changé une seule, aucun moine n’y a ajouté de trait biblique ni de précepte chrétien. C’est la preuve qu’il y avait un texte bien établi, qui s’est transmis des premiers siècles avant notre ère jusqu’à la copie du XIIe siècle que nous offre le manuscrit de Paris. Une autre preuve de son antiquité, ce sont les anecdotes relatives à Démade et à Diogène, qui ont dû être recueillies peu de temps après leur mort, peut-être par Démétrios de Phalère lui-même.


Le style est de l’époque alexandrine.

Le style donne la même impression d’antiquité que le fond. Le seul mot byzantin qui s’y montre, c’est τζέφλια pour κελύφη dans la fable du Voyageur et Hermès (261) ; encore ne se trouve-t-il que dans un seul manuscrit sur 7. C’est un synonyme qu’un copiste byzantin a substitué au mot classique par une de ces inadvertances qu’on

  1. Platon, Phédon, 60 b/c, trad. Robin.