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Quelques-unes en effet ont reculé les bornes de l’invraisemblance ; telle est la fable de la Chauve-Souris, de la Ronce et de la Mouette, où l’on voit la chauve-souris emprunter de l’argent, la ronce acheter des étoffes, la mouette du cuivre, et ces trois négociants prendre la mer. Il y a aussi des fictions mal venues, des bons mots insipides, des traits d’esprit sans pointe, des anecdotes puériles et de simples calembours habillés en fables. Ces fadaises ne font pas grand honneur au bon goût du peuple grec. Mais il en est des recueils ésopiques comme de tous les recueils. « La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises ou des huîtres, choisissant d’abord les meilleures et finissant par tout manger. » Ce mot de Chamfort est aussi vrai pour les anciens que pour les modernes. Mais, si l’on fait, comme il est juste, abstraction d’un certain nombre d’anecdotes et de jeux de mots sans agrément, il reste un bon nombre de fables qui ont passé et passeront toujours pour des modèles du genre, et attireront toujours l’admiration des connaisseurs.


La morale des fables ésopiques.

Le but de la fable étant l’instruction de l’homme, voyons comment les fables ésopiques l’ont rempli. La fable, étant un genre populaire, doit être le reflet des idées morales du peuple. Or le peuple ne s’élève guère au-dessus d’une certaine médiocrité, en morale comme en art. Le souci de la perfection intérieure, la poursuite de la vertu idéale, le dévouement à quelque grande cause sont des choses étrangères à sa pensée : ce qu’il estime avant tout, ce sont les vertus sociales dont il peut tirer parti pour son intérêt personnel ou l’agrément de sa vie : c’est la fidélité dans l’amitié, la reconnaissance des bienfaits, l’amour du travail, la résignation à la destinée, la franchise et la vérité, la modération en toutes choses. Et c’est justement là ce que nous prêche la fable ésopique. Souvent même elle se borne à nous ouvrir les yeux sur les ruses et les fourberies dont l’homme imprévoyant et borné est souvent la victime ; ses conseils sont des conseils de prévoyance, de prudence, d’habileté à tirer parti de tout, fût-ce aux dépens du prochain. Elle descend même jusqu’à l’immoralité, dont le train ordinaire de la vie ne nous offre que trop d’exemples. Profiter de la sottise d’autrui,