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ingénieux dont La Fontaine a fait son profit dans les six premiers livres de ses fables, tous ces tableaux de la vie où les hommes portent des masques d’animaux, tous les caractères attribués aux bêtes sauvages ou domestiques, au lion la majesté, au renard la fourberie, au loup la brutalité, au chameau la débonnaireté, à la fourmi la prévoyance, ce sont les Grecs qui en ont conçu l’idée première et donné les premiers modèles. Il y a certainement dans ces caractères une part de convention, et les attitudes et les sentiments prêtés aux animaux ne sont pas toujours d’accord avec les observations des naturalistes ; mais la part de la vérité et de l’exactitude est assez grande pour que les fabulistes de toutes les nations aient accepté sans les changer tous ces types de caractères créés par le génie grec.

Ils ont aussi trouvé dans les recueils ésopiques des modèles de narration, non point sans doute de narration fleurie, enjouée, spirituelle ou attendrie, mais de narration juste, précise, naturelle, où tout, détails et ordonnance, captive l’imagination et satisfait la raison, où l’expression est naïve et sans prétention, comme il convient à ces petits récits faits pour le peuple, et tire toute sa valeur de son exactitude et de sa simplicité. Ces qualités toutes grecques brillent dans un bon nombre de fables, comme L’Aigle et l’Escarbot, Le Renard et le Bouc, Le Lion vieilli et le Renard, Le Lion, le Loup et le Renard, Le Bûcheron et Mercure, L’Avare et bien d’autres. Il est vrai qu’un certain nombre de fables, d’une invention tout aussi ingénieuse, sont resserrées en une forme un peu étroite, et paraissent étriquées. On a voulu voir dans cette concision un peu sèche la véritable marque de la fable grecque ; et l’on en a fait une règle aux fabulistes ; ce fut du moins l’opinion de Lessing, et, avant lui, de Patru, dont le goût faisait loi au temps de La Fontaine. Heureusement, La Fontaine, rebelle à ses conseils, ne se contenta pas d’imiter la fable brève qui court sans s’arrêter à la moralité ; il s’attacha avec une prédilection toujours croissante aux amples apologues où, sans perdre de vue la morale, le récit moins pressé s’égaye de conversations vives et de traits de mœurs plaisants.

Mais, à côté de ces fables qui ont mérité de devenir classiques, il en est d’autres qui sont restées dans nos recueils, sans que jamais imitateur ait eu l’idée de les en sortir.