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qu’une seule fable, celle des Membres et de l’Estomac ; il est vrai que les papyrus ne sont pas tous exhumés et qu’un jour ou l’autre nous pouvons avoir la surprise de voir apparaître au jour quelque apologue du temps de Sésostris. Il se peut d’ailleurs, comme on l’a conjecturé, que les fables qui ont pour acteurs le crocodile et le chat, ajoutons-y le scarabée, vénéré des Égyptiens, aient été apportées en Grèce des bords du Nil par des voyageurs ou des commerçants, comme le conte de Rhampsinite le fut par Hérodote. En tout cas l’apport fut peu considérable, et peut-être assez tardif.


La fable vient-elle de l’Inde ?

C’est surtout dans l’Inde qu’on a prétendu placer la patrie de la fable. Le savant Huet a mis cette opinion en avant dès l’année 1640. Après lui, une foule d’orientalistes et d’hellénistes sont entrés en lice pour démontrer la priorité soit de la fable indienne, soit de la fable grecque ; mais au lieu de raisonner sur des dates et des faits précis, ils prenaient pour criterium le plus ou moins de perfection de l’une ou l’autre fable et se contredisaient à qui mieux mieux sans faire avancer d’un pas la question. La publication du Pantcha-Tantra, par Benfey en 1859, donna enfin une base à la discussion, en fournissant le point de repère chronologique indispensable. D’après Benfey, les fables du Pantcha-Tantra s’échelonnent du IIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après. Ce simple fait chronologique est décisif en faveur de la Grèce. La fable du Rossignol et de l’Epervier, qui se trouve dans Hésiode, est antérieure de six siècles aux plus anciennes fables de l’Inde ; les fables d’Archiloque, L’Aigle et le Renard, Le Singe attiré dans un piège, celle de Stésichore, Le Cheval et le Cerf, celle du Chien qui porte de la viande, déjà connue de Démocrite, celle de la Chatte amoureuse, à laquelle Stratis fait allusion, et quelques-unes au moins des vieilles fables que les témoignages des auteurs font remonter à Ésope lui-même, ne laissent aucun doute sur la priorité de la Grèce. Il est vrai qu’on a depuis essayé de reculer l’époque où les fables indiennes furent connues en Grèce ; mais en admettant même avec Ribezzo[1] que certaines fables indiennes remontent

  1. Nuovi studi sulla origine et la propagazione delle favole indo-elleniche communemente ditte Esopiche, Napoli, 1901, ouvrage destiné à réfuter celui de Marchiano, L’origine della favola greca e i suoi rapporti con le favole orientali, Trani, 1900.