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de sagesse a fait fortune chez tous les peuples, dès qu’ils ont su réfléchir sur la vie et les règles de conduite qu’elle comporte.


La fable avant Ésope

Les Grecs n’attendirent pas l’exemple pour enfermer leur expérience de la vie dans le cadre de la fable. On se racontait certainement des fables depuis longtemps, lorsque Hésiode, deux siècles avant Ésope, mit en vers celle du Rossignol et de l’Épervier[1]. « Je vais maintenant, dit-il, instruire les rois, tout sages qu’ils sont. Voici ce que disait un jour l’épervier au rossignol, qu’il emportait au sein des nuages entre ses ongles recourbés. Comme l’infortuné, percé des serres cruelles du ravisseur, se plaignait en gémissant, celui-ci lui adressa ces dures paroles : « Malheureux ! pourquoi ces plaintes ? Un plus fort que toi te tient en sa puissance. Tu vas ou je te conduis, quelle que soit la douceur de tes chants. Je puis, si je le veux, faire de toi mon repas ; je puis te laisser échapper. Insensé, qui voudrait résister à la volonté du plus fort ! Il serait privé de la victoire et ne recueillerait que la honte et le malheur. » Ainsi parla l’épervier rapide, aux ailes étendues. » Telle est la plus vieille fable grecque qui nous ait été conservée. Elle a déjà les traits essentiels de la fable classique : un récit bref dont les traits sont choisis en vue d’une conclusion, et une conclusion qui est un conseil ou un précepte de conduite.

Cet ingénieux moyen de relever une vérité fut repris au VIIe siècle par Archiloque. Les fragments de ses œuvres renferment le commencement de deux fables, celle de l’Aigle puni pour avoir dévoré les petits du Renard, son ami (fr. 86, 87, 88 Bergk) et celle du Singe attiré dans un piège par le Renard (fr. 89, 90, 91). Plusieurs autres fragments malheureusement trop courts laissent deviner d’autres fables dont le sujet se retrouve dans les recueils ésopiques.

Sémonide d’Amorgos avait aussi utilisé la fable comme ornement, si l’on en juge par les deux vers où il montre le héron enlevant une anguille du Méandre. On attribue à un contemporain de Sémonide d’Amorgos un scholion cité par Athénée et qui semble se rapporter à la fable du Serpent

  1. Travaux et Jours, 200-210.