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les simulacres des choses, sans qu’ils en désirent rien du reste, ni qu’ils soient moins contents de leur sort, et le sage qui, sorti de la caverne, voit les choses telles qu’elles sont ? Si le Myrille de Lucien avait pu éterniser le songe doré qui l’avait fait si riche, aurait-il eu rien à envier à personne ? Donc, du fou au sage, la balance est égale, ou si elle penche d’un côté, c’est en faveur du fou ; d’abord parce qu’il est heureux à peu de frais, c’est-à-dire en se persuadant qu’il l’est ; et ensuite parce qu’il partage ce bonheur avec un grand nombre de ses semblables. Jouir seul n’est pas jouir. Or, tout le monde sait combien est restreint le nombre des sages, si sages il y a. Dans le cours de plusieurs siècles, la Grèce en a compté jusqu’à sept, et par Hercule, je gage mon immortalité qu’en y regardant de près, on trouverait à peine en eux tous une demi-once, que dis-je, un quart d’once de véritable sagesse !


Le plus bel éloge qu’on fasse de Bacchus, c’est qu’il endort les soucis de l’âme. Mais ce n’est que pour un temps fort court ; car à peine le vin est-il cuvé, que les chagrins reviennent au triple galop, comme dit le proverbe.

Mes bienfaits, à moi la Folie, sont bien plus complets et plus durables. Je plonge l’âme dans une ivresse sans fin, où la joie, les délices, les enchantements se renouvellent sans cesse, et cela sans qu’il en coûte à ceux qui m’appellent à leur aide. Les autres divinités sont exclusives ; elles ont leurs favoris ; pour moi, ma protection s’étend à tous. Bacchus ne