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cependant refuser une mention à ces autres fous qui, avec une âme de boue, se placent au-dessus des humains, grâce à quelque vain titre nobiliaire : à les en croire, ils descendent, qui d’Énée, qui de Bacchus, qui du roi Arthus. Chez eux, dans tous les coins, s’étalent les statues de leurs ancêtres. Sans cesse, ils ont à la bouche leur généalogie et les titres antiques de chacun. Quant à eux, plus stupides que les statues qu’ils exposent, ils n’en mènent pas moins dans leur gloriole une vie pleine de charmes, car il se trouve des gens assez fous pour révérer ces imbéciles à l’égal des dieux.

Il est difficile de se borner à un ou deux exemples, quand il est avéré que l’amour-propre a mille moyens de donner le bonheur. Un singe est moins laid que tel personnage, il ne s’en trouve pas moins beau pour cela, au contraire ; tel autre sait à peine tracer un cercle avec un compas, qui se croit un Euclide ; tandis que son voisin harmonieux comme un âne qui joue de la lyre, s’égale à Hermogène, parce qu’il parvient à tirer de son gosier la voix perçante du coq.

Mais il y en a qui laissent bien loin d’eux tous ceux dont nous nous sommes occupés jusqu’ici ; je veux parler de ces pirates qui exploitent au profit de leur propre gloire les moindres talents de ceux qui les entourent. Ils ressemblent à ce richard dont parle Sénèque, qui, s’il s’agissait de conter une anecdote, avait sous la main un complaisant qui lui soufflait les mots, et entrait résolument dans l’arène, s’il s’agissait d’une lutte, parce