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encore la joie autour d’eux, comme s’ils avaient reçu des immortels la mission d’égayer les tristesses de la vie. Aussi, tandis que les hommes montrent pour leurs semblables des dispositions si différentes, ils sont unanimes pour accueillir mes fous à bras ouverts ; on les recherche, on les aime, on les choie, on leur vient en aide au besoin, sans compter qu’on leur passe tout ce qu’ils peuvent dire ou faire. Personne ne songe à leur nuire, les bêtes elles-mêmes les respectent comme si elles avaient naturellement conscience de leur innocuité. Les fous sont sous la sauvegarde des dieux, et avant tout sous la mienne ; c’est là un privilége que personne n’ose leur contester.

Ce n’est pas tout : les princes, même les plus grands, goûtent si fort mes protégés, qu’ils ne peuvent ni manger, ni se promener, ni rester une heure entière sans leurs bouffons en titre. Ils vont même jusqu’à les préférer de beaucoup aux philosophes grondeurs, qu’ils entretiennent par vanité : ce qui, selon moi, est facile à comprendre, puisque ces prétendus sages ne leur donnent en retour qu’une stérile gravité, et qu’ils vont même, tant ils sont pleins de leur science, jusqu’à blesser leurs oreilles par de dures vérités. Mes fous, au contraire, portent partout avec eux ce qu’à la cour on goûte le mieux, jeux et gaieté, bons mots et plaisirs. Au reste, une qualité, qui n’est certes pas à dédaigner, se retrouve chez eux au plus haut point ; je veux parler de leur tant belle sincérité. Or, qu’y a-t-il de plus beau que la vérité ? — Platon, dans son Ban-