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Les animaux, qui sont tout à fait étrangers à toutes connaissances et ne suivent d’autre loi que la nature, ne sont-ils pas heureux de tous points ? Y a-t-il rien de plus fortuné et de plus admirable que le peuple des abeilles ? Bien qu’elles n’aient pas les sens de l’homme, ne le surpassent-elles pas en architecture ? Leur république n’est-elle pas mieux constituée que toutes les utopies des philosophes ? Le cheval, au contraire, qui jouit sensiblement du même organisme que l’homme, et vit à peu près la même vie, ne partage-t-il pas les maux qui l’affectent ? Au milieu de la bataille, pour éviter la défaite, il se rompt les flancs ; ou bien, en plein triomphe, il est frappé et mord la poussière à côté de son maître expirant. N’oubliez pas non plus ce frein qu’il lui faut ronger, ces éperons qui le déchirent, l’écurie où il est emprisonné, les fouets, les houssines, les brides, les sangles, le harnais, le cavalier et tout l’appareil de la servitude à laquelle il s’est soumis volontairement autrefois, lorsqu’à l’exemple de tant de héros il sacrifia tout pour se venger ! Oh ! qu’elle est préférable l’existence de la mouche et de l’oiseau dans son indépendance, lorsque toutefois ils échappent aux piéges de l’homme ! Enfermez dans une cage l’habitant de l’air, apprenez-lui à imiter la voix humaine, aussitôt il perd toute grâce et toute beauté. Tant il est vrai que la simplicité native est au-dessus des productions de l’art ! Aussi ne saurais-je trop vous citer le coq de Lucien, lequel, grâce à la métempsychose avait été d’abord philosophe sous la figure de Pythagore, puis tour à tour