Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ignorant, audacieux, irréfléchi, c’en est assez pour que tout le monde ait confiance en lui, voire même les plus huppés. Du reste, la médecine, surtout comme la plupart de nos docteurs la pratiquent aujourd’hui, n’est plus que l’art de plaire à son malade, et à ce point de vue elle a quelques rapports avec la rhétorique.

Ceux qui viennent dans la faveur du public immédiatement après les médecins, ou pour mieux dire sur le même rang qu’eux, sont certainement les légistes, bien que les philosophes (je n’oserai prendre sur moi la responsabilité de cette opinion) regardent leur science comme une ânerie et s’en moquent sans réserve. Ce sont cependant ces ânes qui règlent les grandes et les petites affaires de la vie, et arrondissent chaque jour leur avoir, tandis que les théologiens qui portent dans leur tête les secrets de Dieu, mangent tristement leurs fèves, tout en faisant la guerre à la vermine qui les ronge.

Puisqu’il est prouvé que les sciences, qui donnent le plus de bonheur à ceux qui les cultivent, sont précisément celles qui ont le plus d’affinité avec la folie, il est clair que ceux-là sont de beaucoup les plus heureux, qui s’étant abstenus de tout commerce avec la science, ont pris pour guide la simple nature, qui n’a jamais égaré personne, pourvu qu’on agisse dans la sphère d’action attribuée à l’humanité. La nature a horreur de tout ce qui la déguise, et ses productions les plus parfaites sont celles où l’art fait complétement défaut.