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complétement quand il s’agit de procréation. En cela, il faut le dire, la nature a montré sa prudence, car elle a empêché par ce moyen la lèpre de la sagesse d’envahir l’espèce humaine. Cicéron avait un fils complétement dégénéré, et les enfants du sage Socrate tenaient plus de leur mère Xantipe que de lui ; c’est-à-dire, comme on l’a justement fait remarquer, qu’ils étaient passablement fous.

On passerait encore aux philosophes d’exercer les charges publiques comme les ânes jouent de la lyre, s’ils étaient du moins bons à quelque chose dans la vie privée. Mais menez un philosophe au milieu d’un festin ; son silence, sa tristesse ou ses questions saugrenues troubleront aussitôt la fête ; faites-le danser, il déploiera les grâces d’un chameau ; si vous parvenez à l’entraîner à un spectacle, son seul aspect glacera les plaisirs de la foule, et, comme l’austère Caton, on le priera de quitter le théâtre puisqu’il ne peut quitter pour une heure son air grave et sévère. Qu’il tombe au milieu d’une conversation, c’est un loup dans une bergerie, personne n’ose plus souffler mot. S’agit-il d’acheter, de faire un acte quelconque, une de ces mille négociations que veut le commerce journalier de la vie, notre philosophe n’est plus un homme, c’est une souche. Bref, lui-même, ses parents et les siens n’ont rien à attendre d’un pareil être ; parce qu’il est inhabile à toutes choses, et qu’il se tient éloigné des opinions et des coutumes ordinaires. Une telle différence de mœurs le rend, on le comprend, odieux à tout le monde. Car, retenez-le bien, tout ce