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imitation seule mérite déjà le suffrage des savants. Horace, le gras pourceau du troupeau d’Épicure, dit la chose encore plus franchement : Il conseille de mêler la folie à la sagesse. Je sais bien qu’il ajoute de « temps à autre. » Mais c’est là justement qu’il tombe dans l’erreur. « Il est bon d’être fou à propos, » dit-il encore, et un peu plus loin : « J’aime mieux passer pour fou et pour un être sans valeur, que d’être sage et morose tout mon soûl. » Homère, qui d’ailleurs lui octroie force louanges, appelle cependant Télémaque follet ; et les tragiques appliquent cette épithète à l’enfance comme à la jeunesse, parce qu’ils estiment de bon augure. L’Iliade, ce poëme divin, n’est autre chose que le tableau de la colère des peuples et des rois. Et pour finir, Cicéron a fait mon éloge complet lorsqu’il a dit : « La terre est pleine de fous. » Tout le monde sait en effet qu’un bien est d’autant plus grand qu’il est partagé par un grand nombre.

Les autorités que je viens de citer n’ont d’un poids relativement peu important auprès des chrétiens ; je vais donc chercher dans leurs livres sacrés, comme font les savants, des arguments en ma faveur, après avoir pris préalablement la permission des seigneurs théologiens. Comme ce n’est pas une petite affaire que nous allons entreprendre, et qu’il me semble peu convenable de faire faire aux muses de l’Hélicon un si grand voyage pour quelque chose où elles n’ont que faire, j’aime mieux, pendant que je suis à m’enthéologiser et à vaguer dans les sentiers épineux de la