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n’a favorisé un sage, tandis qu’au contraire elle comble de ses biens mes fous les plus distingués jusque dans leur sommeil ; par exemple, ce général athénien, Timothée, qui reçut le surnom d’heureux, et donna naissance au proverbe : « Il prend les villes en dormant. » Vous connaissez aussi le dicton : « Aux innocents les mains pleines. » — Que dit au contraire, des sages, la sagesse des nations : « Il est né sous une mauvaise étoile. » Ou bien : « Il monte le cheval de Séjan. » Ou encore, : « Son or est de Toulouse. » — Mais trêve de proverbes, on me soupçonnerait de piller le recueil de mon ami Érasme. — Je disais donc que la Fortune aime les gens peu sensés, les gens audacieux, qui disent sans hésiter : le sort en est jeté. La sagesse rend timide, aussi voyons-nous ses adeptes en être réduits à la pauvreté, à la faim et à la corde, après avoir passé leur vie, négligés, sans gloire et repoussés par tous. Aux mains de mes fous, au contraire, les richesses affluent, et le timon de l’État leur est confié ; bref ils fleurissent de toutes façons. — Faites-vous consister le bonheur à être le favori des princes, à hanter ces demi-dieux, maîtres fous chamarrés de bijoux ? — Que feriez-vous près d’eux, de la sagesse ? Ne serait-ce pas un sujet de défaveur ? — Courez-vous après les richesses ? Comment pourrez-vous y arriver, si vous restez sage au milieu des affaires ; si vous craignez le parjure et rougissez du mensonge ; si vous vous laissez arrêter sur la pente du vol et de l’usure par des scrupules ou d’autres misères semblables ? — Ambition-