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baiser les pieds ? Il y aurait encore à bien mourir, mais c’est si peu gai ; à souffrir au besoin la croix, mais c’est infamant aujourd’hui.

Restent donc aux saints pères pour toutes armes ces douces bénédictions dont parle saint Paul ; et de fait, ils n’en sont pas chiches. C’est plaisir de leur voir distribuer les interdictions, les suspensions, les aggravations, les anathèmes ; sans compter les épouvantails du diable dont ils abusent, et cette foudre terrible qui, d’un seul coup, précipite les âmes des mortels bien au delà des enfers. Ce dernier instrument sert surtout aux pontifes, ces très-saints pères en Jésus-Christ dont ils sont les vicaires, à frapper sans ménagements quiconque, à l’instigation de Belzébuth, essaye de rogner quelque peu le patrimoine de saint Pierre ! Car cet apôtre, qui a dit dans l’Évangile : « Nous avons tout laissé pour vous suivre, » possède aujourd’hui des champs, des villes et des vassaux, lève des impôts et se pose en suzerain. Et pour conserver son patrimoine, les pontifes, se laissant emporter souvent par un trop grand amour de leur divin maître, ne se font pas faute d’user du fer et du feu et de répandre le sang chrétien. Ils n’en ont pas moins l’audace de dire qu’ils défendent de cette manière l’Église, cette épouse du Christ, et qu’ils terrassent ses ennemis. Comme si l’Église avait d’autres ennemis que les pontifes impies qui, par leur silence, laissent oublier le Christ, trafiquent honteusement en son nom, torturent sa loi par leurs interprétations et ruinent son Église par l’exemple de leurs vies !