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XVIII
ÉMILE NELLIGAN


Vous tombez de l’intime arbre blanc, abattues
Çà et là, n’importe où, dans l’allée aux statues.

Couleur de jours anciens, de mes robes d’enfant,
Quand les grands vents d’automne ont sonné l’olifant.

Et vous tombez toujours, mêlant vos agonies,
Vous tombez, mariant, pâles, vos harmonies.

Vous avez chu dans l’aube aux sillons des chemins,
Vous pleuvez de mes yeux, vous tombez de mes mains.

Comme des larmes d’or qui de mon cœur s’égouttent.
Dans mes vingt ans déserts vous tombez toutes, toutes.

Le poète revêt de toutes les formes et de toutes les nuances de l’ombre sa mélancolie désespérée. En tout il la retrouve et la salue comme une connaissance familière. Il n’y a pas de façon plus navrante de conjuguer le verbe « souffrir. »

C’est le regret d’être au monde et d’avoir affronté l’ennui de vivre :

Quand je n’étais qu’au seuil de ce monde mauvais
Berceau, que n’as-tu fait pour moi tes draps funèbres ?
Ma vie est un blason sur des murs de ténèbres,
Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais.

Ah ! que n’a-t-on tiré mon linceul de tes langes
Et mon petit cercueil de ton bois frêle et blanc,
Alors que se penchait sur ma vie, en tremblant,
Ma mère souriante avec l’essaim des anges ?

C’est le regret de son enfance heureuse. Ah ! comme il la pleure, cette enfance de bon petit garçon, insouciant et pur, alors que la vie dérobait ses trahisons prochaines, et que la Poésie cruelle ne l’avait pas encore aimé !

Par les hivers anciens, quand nous portions la robe,
Tout petits, frais, rosés, tapageurs et joufflus,
Avec nos grands albums, hélas ! que l’on n’a plus,
Comme on croyait déjà posséder tout le globe !

Assis en rond, le soir, au coin du feu, par groupes,
Image sur image, alors combien joyeux
Nous feuilletions, voyant, la gloire dans les yeux,
Passer de beaux dragons qui chevauchaient en troupes.

Je fus de ces heureux d’alors. Mais aujourd’hui,
Les pieds sur les chenets, le front terne d’ennui,
Moi qui me sens toujours l’amertume dans l’âme,