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XVI
ÉMILE NELLIGAN

Jésus à barbe blonde, aux yeux de saphir tendre,
Sourit dans un vitrail ancien du défunt chœur,
Parmi le vol sacré des chérubins en chœur
Qui se penchent vers Lui pour l’aimer et l’entendre.
Des oiseaux de Sion aux claires ailes calmes
Sont là dans le soleil qui poudroie en délire,
Et c’est doux comme un vers de maître sur la lyre
De voir ainsi, parmi l’arabesque des palmes,
Dans ce petit vitrail où le soir va descendre,
Sourire en sa bonté mystique, au fond du chœur.
Le Christ à barbe d’or, aux yeux de saphir tendre.

Et ce Placet pour des cheveux, ne vous rappelle-t-il pas la préciosité de Rostand, en même temps que ses acrobaties rythmiques ?

Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle
Des lames des cheveux aux lames du ciseau,
Pour que j’y puisse humer un peu de chant d’oiseau,
Un peu de soir d’amour né de vos yeux de perle ?

Au bosquet de mon cœur, en des trilles de merle,
Votre âme a fait chanter sa flûte de roseau.
Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle
Des lames des cheveux aux lames du ciseau ?

Fleur soyeuse, aux parfums de rose, lys ou berle,
Je vous la remettrai, secrète comme un sceau,
Fût-ce en Éden, au jour que nous prendrons vaisseau
Sur la mer idéale où l’ouragan se ferle.

Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle ?

Le Roi du Souper, les Roses d’hiver, Fantaisie blonde, Violon de villanelle, sont autant de tableaux gracieux, montrant le poète en communion passagère avec le monde et la vie. Cette sympathie va même jusqu’à la pitié ; mais alors, comme par un retour instinctif, la pitié s’attendrit surtout sur le mal terrible qui déjà ronge le poète. Il y a de l’émotion humaine dans l’Idiote aux Cloches, et dans l’étrange complainte intitulée : Le Fou :

            Gondolar ! Gondolar !
Tu n’es plus sur le chemin très tard.

      On assassina l’pauvre idiot,
      On l’écrasa sous un chariot,
      Et puis l’chien après l’idiot.

      On leur fit un grand, grand trou là.
      Dies iræ, dies illa.
      À genoux devant ce trou-là !