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XII
ÉMILE NELLIGAN

flamandes, le joyeux compère à la verve rabelaisienne et sanguine, est sous sa plume une espèce d’Angelico idéaliste. S’il veut sonnettiser Gretchen la pâle, il dira :

Elle est de la beauté des profils de Rubens
Dont la majesté calme à la sienne s’incline.

Les profils de Rubens sont d’une majesté de matrones repues, et, en fait de pâleur, ont celle des lendemains d’orgie. Mais passons. Nelligan avait dix-neuf ans, et n’avait jamais vu le Louvre. Ces inexpériences trahissent la jeunesse, et rien de plus.

Ce qui est plus grave, et l’eût aisément détourné de sa vraie voie, c’est que, voulant, malgré tout, « avoir des idées, » il se soit parfois contenté de celles d’autrui. Non pas qu’il ait plagié personne : j’ai cherché vainement, en feuilletant son œuvre, à le surprendre là-dessus ; — mais il a imité, au hasard de ses lectures et de ses réminiscences. Il a emprunté à d’autres poètes, non des formes, mais des sujets, des inspirations dont il n’avait que faire, au lieu de cultiver sa riche et puissante originalité. Il s’est cru obligé d’écrire, après Hérédia, des « sonnets impassibles, » et après Richepin, de petits Blasphèmes. Il a offert en libation à Rollinat l’Idiot putride. Si encore il ne s’inspirait que d’auteurs apparentés à son talent ! Mais il imite Coppée, mais il imite Veuillot ! Je lui prêtai un jour les Couleuvres, et je ne sais pourquoi il fut frappé d’un morceau médiocre intitulé : Pierre Hernschem, Ce dernier nom, sans doute, lui parut d’un éternuement délicat et le ravit par son exotisme. Le lendemain, Nelligan m’arrivait avec la Mort du Moine, un pur décalque ! Hernschem était devenu Wysinteiner, et avait échangé la coulle de Saint-Dominique pour le capuce de saint-Benoît : ce n’était vraiment pas la peine. Je refusai d’avaler cette fausse couleuvre.

Il a dédié à Coppée ses Balsamines : il n’est que juste qu’elles lui retournent, car elles viennent de lui ; j’entends, par la donnée, par la mièvrerie sentimentale, non par le style, qui s’entrave ici d’une solennité lourde.

Il a commis souvent de ces emprunts maladroits, quoique honnêtes. Ils sont toujours reconnaissables : ils n’ont pas jailli de source, ils manquent de sincérité et sont décidément inférieurs.