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pénétrez-vous de ce que l’auteur a sans doute voulu dire et, ainsi éclairés, si la chose est possible, saisissez les petits procédés par lesquels il a dérobé son idée aux regards et détruisez-les à mesure, jusqu’à ce que vous soyez en présence de l’idée elle-même, laquelle vous paraîtra souvent très ordinaire, mais quelquefois intéressante encore. « Vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid, dites il fait froid. » Eh bien ! précisément, par une sorte de filtrage et de décantation, contraignez Acis à dire : il fait froid.

Ce travail est très utile ; c’est un des exercices les plus vigoureux de l’intelligence et qui l’accroît et l’aiguise.

Montaigne a une page admirable sur l’art de compliquer ce qui est simple et d’obscurcir ce qui est clair : « Il n’est pronostiqueur, s’il a cette autorité qu’on daigne feuilleter et rechercher curieusement tous les plis et lustres [détours ?] de ses paroles, à qui on ne fasse dire tout ce que l’on voudra comme aux Sibylles ; il y a tant de moyens d’interprétation qu’il est malaisé que, de biais ou de droit fil, un esprit ingénieux ne rencontre en tout sujet quelque avis qui lui serve à son point [à son point de vue]. Pourtant [et c’est pourquoi] se trouve un style nubileux et douteux en si fréquent et ancien usage. Que l’auteur puisse gagner cela d’attirer et embesogner à soi la postérité, ce que non seulement la suffisance [la capacité] mais autant ou plus la faveur fortuite de la matière peut gagner, qu’au demeurant il se