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personne — vous vous habituerez à lire Delille qui assurément n’offre aucune difficulté ; vous en viendrez peu à peu, fuyant l’effort et le redoutant, à ne lire que les romans de Mme Cottin, et vous ne pourrez jamais aborder le Second Faust, ce qui vraiment sera dommage.

Il faut donc s’exercer les dents sur les auteurs difficiles. À ne pas le faire, on risque déchéance. J’ai connu dans ma jeunesse des hommes lettrés qui déclaraient le Second Faust inintelligible et qui trouvaient Victor Hugo obscur. Pour trouver Victor Hugo obscur, de quels Bérangers et même de quels sous-Bérangers faut-il s’être exclusivement nourri ?

Mais comment lire les auteurs difficiles ? Tous ne sont pas lisibles par des gens comme nous, et il en est qui ne le sont que par gens appartenant à l’une des trois catégories que j’indiquais plus haut. Il en est qui sont obscurs naturellement, spontanément, très loyalement, sans artifice ; qui sont capables, ce qui est une chose encore que je n’ai jamais comprise, d’exprimer par des mots, de mettre sur le papier, une pensée qui n’est pas devenue nette dans leur esprit ; pour qui la parole ou l’écriture n’est pas un instrument d’analyse ; pour qui la parole ou l’écriture n’est pas une épreuve qui force à se rendre compte de ce qu’on pense ; qui, en un mot, peuvent exprimer ce qu’ils ne conçoivent pas. Ceux-ci, sans doute, il faut les laisser sur le vert, et je ne vois guère quel profit l’on en pourrait tirer ; car de penser, à propos d’eux,