Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

papier et l’impression d’un volume du XVIIe siècle suggèrent de couper l’alexandrin à l’hémistiche, je ne lis jamais la prière d’Esther sans scander ainsi :

Ô mon souverain roi,
Me voici donc tremblante, | et seule devant toi.

Et quand je me récite à moi-même ces vers, je ne manque jamais de scander :

Me voici donc | tremblante et seule | devant toi,

la seule manière de scander, du reste, qui ait le sens commun.

Quand je lis, malgré la virgule qui devrait me crever les yeux, je scande ou au moins j’ai tendance à scander :

Toujours punir, toujours | trembler dans vos projets

Et quand je me récite à moi-même, je ne manque pas de scander :

Toujours punir, | toujours trembler dans vos projets.

Et je ne vais pas sans doute en lisant jusqu’à scander comme j’ai entendu un acteur de la Comédie Française le faire :

Passer des jours entiers | et des nuits à cheval,

mais j’ai bien quelque tendance à en user ainsi. Et, quand je me récite à moi-même, je scande :

Passer | des jours entiers et des nuits | à cheval,

Quand on se récite des vers, on les possède plus intimement en quelque sorte ; on les couve en soi ;