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après avoir assez longtemps lu tout haut, on doit revenir à la lecture intime pour retrouver devant soi l’homme qui pense.

Le poète, comme aussi le grand prosateur, ne livre pas du même coup tous ses genres de beautés et ne peut pas donner à la fois tous les plaisirs qu’il est capable de donner. Il en faut user avec lui comme avec un peintre, dont tantôt on étudie la composition, tantôt le dessin, tantôt la couleur, tantôt les figures et physionomies humaines, tantôt les eaux et tantôt le ciel. L’impression d’ensemble se fera plus tard de tous ces éléments d’impression fondus ensemble.

Un grand plaisir, difficile pour la plupart et pour moi du moins, avec les prosateurs, très facile avec les poètes, est, non plus de lire, mais de réciter de mémoire les morceaux qui se sont fixés dans notre esprit et que nous chérissons de dilection particulière. Il est rare que je me promène sans me réciter à moi-même quelqu’une des pièces suivantes : « Marquise si mon visage… » ; les deux Pigeons ; « Ô mon souverain roi, me voici donc tremblante… », « Si vous voulez que j’aime encore… » ; la Jeune Captive ; le Lac ; la Tristesse d’Olympio ; le Souvenir ; plus souvent la Vigne et la Maison ; la Voie lactée de Sully-Prudhomme, l’Agonie, du même. Dans cette récitation solitaire, il arrive de petites choses assez notables. On scande autrement. Je ne sais pas trop pourquoi, à vrai dire, mais peut-être parce que le