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ou bien à peu près ; et celles-ci, idées filles d’idées, elles n’ont presque plus aucun rapport avec le sentiment. Distinguez-les comme telles et voyez-les comme aussi téméraires qu’elles sont pures et comme aussi aventureuses qu’elles sont abstraites. Qu’est-ce que Dieu pour Platon ? Non pas un être qu’on adore par mouvement du cœur et élan de l’instinct, mais une doctrine que d’autres doctrines ont amené peu à peu à croire vraie ; Dieu pour Platon est une conclusion ; la foi de Platon est une logique. Ce n’est pas chose à lui reprocher ; mais comme cela nous intéresse de comparer cette religion philosophique aux religions où Dieu est « sensible au cœur » c’est-à-dire à l’intuition immédiate de tout l’être vivant ! Lesquels ont raison ? Eh ! pour le moment, qu’importe ? Pour le moment, je n’apprends qu’à lire.

Lire un philosophe, c’est le comparer sans cesse à lui-même ; c’est voir ce qui en lui est sentiment, idée sentimentale, idée résultant d’un mélange de sentiment et d’idées, idée idéologique enfin, c’est-à-dire résultant d’une lente accumulation, dans l’esprit du penseur, d’idées pures ou presque pures.

Vous lisez Montesquieu. Vous apprenez assez vite que cet homme n’a qu’une passion : c’est la haine du despotisme. Ce qu’on déteste le plus au monde, quand on a l’âme active et non pas seulement passive et soumise, c’est ce que l’on a vu autour de soi à vingt ans. Et je ne dis pas que cela soit très bon ;