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Cléante de Tartuffe soit Molière (et ici j’ai peur que, si on le croyait, on ne se trompât plus qu’ailleurs), ni même que le Clitandre des Femmes Savantes soit Molière encore, quoique ici j’estime qu’on serait plus près de la vérité. Cependant, nous avons quelque moyen d’approximation pour ainsi dire. Le personnage, par exemple, qui raille le personnage ridicule représente approximativement l’auteur, et il n’y a pas à douter beaucoup que ce que dit la Dorine de Tartuffe ne soit ce que Molière pense lui-même ; le personnage, dans les pièces à thèse, qui « raisonne », qui fait une dissertation, qui exprime des idées générales et à qui, cela est important, l’adversaire n’a rien à répondre, peut être considéré comme exprimant, à très peu près, la pensée de l’auteur. Thouvenin dans Denise est bien évidemment Dumas fils lui-même. Remarquez bien ce procédé de Molière :

Monsieur mon cher beau-frère avez-vous tout dit ? — Oui. — Je suis votre valet.

Et Orgon s’en va. Cela veut dire : « Cléante a raison, non seulement parce qu’il raisonne bien ; mais parce qu’Orgon ne trouve pas un mot à lui répliquer ; et donc Orgon n’obéit qu’à sa passion et Cléante obéit à son jugement ». Molière use assez souvent de ce procédé qui est un avertissement au spectateur et au lecteur. Arnolphe :

Prêchez, ratiocinez jusqu’à la Pentecôte,
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout.