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toutes les fois, dans quelque rôle que ce soit, qu’il fait dire à quelqu’un ce qu’il dirait en effet lui-même. C’est ici qu’est son style à lui. Il doit avoir cent autres styles différents et dont il n’est pas responsable, ou plutôt pour lesquels il n’est responsable que de leur vérité relative et circonstancielle, à l’usage des différents personnages qu’il fait parler, bourgeois, homme du peuple, paysan, valet, marquis, hypocrite de religion, etc.

Il y a plus : le langage change, non seulement selon les conditions, mais selon les caractères, ou plutôt le langage change selon les conditions et le style change selon les caractères. L’avare ne parle pas comme le prodigue, le timide comme le fanfaron, le Don Juan comme le craintif auprès des femmes, etc. ; non seulement ils ne disent pas les mêmes choses, mais ils n’ont pas le même tour de style. Un auteur disait : « Mon Guillaume le Taciturne m’embarrasse ; car de quel style le faire parler ? Il ne suffit pas de lui donner un style laconique ; il faudrait qu’il ne dît rien ; ce n’est pas un personnage de théâtre. » Il est plus difficile de trouver le style d’un caractère que d’inventer le caractère lui-même. Bellac, du Monde où l’on s’ennuie, n’était pas difficile à inventer, puisqu’il est toujours dans la réalité et qu’il suffisait de s’en aviser ; ce qui était malaisé, c’était de lui trouver son style, et c’est à quoi Pailleron a admirablement réussi.

Léon Tolstoï fait remarquer, et c’est pour lui un