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teur lit la pièce en la dressant devant ses yeux.

De quelque art, du reste, qu’il s’agisse, le secret du dilettante, c’est d’attraper l’état d’esprit où l’artiste a été lui-même en composant son œuvre et de savoir plus ou moins pleinement le garder et s’y maintenir. « Je ne trouve pas cette femme si belle, disait un Athénien devant une statue de Phidias. — C’est que tu ne la vois pas avec mes yeux, lui dit un autre. — Es-tu donc l’auteur ? — Plût à Dieu ! mais j’ai quelquefois comme une illusion que je le suis. »

C’est une grande jouissance encore en lisant les auteurs dramatiques et qu’on éprouve plus en lisant les auteurs dramatiques que tous les autres, que d’observer les différences de style entre les divers personnages. Les auteurs dramatiques — un peu aussi les romanciers, mais moins — ont cela de particulier qu’ils ont plusieurs styles et qu’il faut qu’ils en aient plusieurs, faisant parler les personnages les plus différents et devant avoir autant de styles qu’ils ont de personnages. On reprochait à un auteur dramatique de ne pas avoir de style. Il répondit spirituellement : « Ne savez-vous pas qu’un auteur dramatique ne doit pas avoir de style ? »

Comme presque toutes les réponses spirituelles, celle-ci n’est juste que prise d’un certain biais. La vérité est qu’un auteur dramatique doit avoir un style, plus cent autres qui ne sont pas le sien. Il doit avoir un style à lui et qui se reconnaîtra toujours quand il fait parler le personnage qui le représente, ou