Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lecteur des anciens est donc étranger à son temps sans y être hostile, si étranger à son temps qu’il ne lui est pas même hostile et est en quelque façon de tous les âges. Il est l’homme sur qui aucune mode n’a d’influence et qui ne s’aperçoit pas qu’il y a des modes.

C’est un homme très heureux si c’est un bonheur, comme je le crois, de ne pas vieillir. Il ne s’aperçoit pas des changements qui se sont produits depuis sa jeunesse dans le goût public. Il goûte ce que quelques-uns parmi les jeunes et parmi les vieux goûtaient déjà dans sa jeunesse et ce que quelques-uns parmi ses contemporains et aussi parmi les jeunes goûtent encore. Il a toujours été avec quelques-uns, il n’a jamais été seul et n’est pas plus seul à soixante ans qu’il n’était à vingt. Il ne se doute pas que la littérature est la chose la plus instable du monde. Il n’est pas très vivant, comme on dit, mais il est comme s’il avait choisi une fois pour toutes entre le vivant et l’éternel, et c’est l’éternel qu’il a choisi. Il est assez probable qu’il a la meilleure part et il est certain qu’elle ne lui sera point ôtée.