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été inventés pour qu’on eût du plaisir à lire Virgile, pour qu’on ne le lût pas comme de l’Aulu-Gelle et par des gens qui savaient qu’ils goûtaient Mozart parce qu’ils avaient joué du violon, et Virgile parce qu’ils avaient fait des vers latins.

Le lecteur de poètes est donc presque toujours un versificateur, ou il l’a été. Il se sent par là d’une classe un peu supérieure au reste de l’humanité. C’est un raffiné, c’est un select, c’est un noble. Cette vieille fille, noble, dans une nouvelle d’Edmond About, disait : « Ce qui me plaît dans les artistes, c’est qu’ils ne sont pas des bourgeois ». Le lecteur des poètes sent qu’il n’est pas un bourgeois.

Il est du reste, souvent, très aimable à travers cette légère affectation et, sauf une certaine irritabilité qui lui est venue, comme par contagion, des poètes eux-mêmes, il est sociable, bon causeur avec un langage choisi, et épouse généralement les causes nobles. « Ô poète ! » dit-on ordinairement aux idéalistes, ce qui fait très grand honneur aux poètes ; on peut dire aussi : « Il est distingué, surtout il veut l’être ; volontiers original, un peu dédaigneux ; il a le goût des sentiments nobles ; c’est un lecteur de poètes ».

Enfin le lecteur de livres où sont peints des êtres tout à fait exceptionnels est en général un homme que la vie ne satisfait pas et qui ne la trouve pas intéressante et qui veut s’en tenir le plus loin possible. Il est un peu comme le Fantasio de Musset