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trouve souvent que son auteur n’est pas assez noir, et il lui donnerait des conseils dans le sens d’une plus grande sévérité et des avis très vigoureux sur la bassesse humaine.

L’amateur de livres réalistes est d’une société un peu attristante. On l’estime dans les salons personnage indésirable à moins qu’il n’ait de l’esprit et de l’humour, en considération de quoi l’on pardonne en ces lieux-là absolument tout.

Le lecteur de livres idéalistes où les personnages ont des vertus extraordinaires et des délicatesses de sentiments inattendues est généralement une lectrice : « J’ai pour moi les jeunes gens et les femmes », disait Lamartine, et George Sand aurait pu le dire aussi sans se tromper aucunement. Le lecteur de livres idéalistes n’est pas nécessairement optimiste ; mais il aime à croire à la noblesse de la nature humaine au moins chez un certain nombre d’individus privilégiés parmi lesquels il se place et non pas toujours à tort. Il a des mouvements généreux : il a au moins des mouvements généreux qui, pour n’être pas toujours suivis d’un plein effet, doivent pourtant lui être comptés. Il se fait une âme très spéciale qui est composée de celle d’abord qu’il a apportée avec lui et qui tendait naturellement à l’idéal, de celle ensuite qu’il a tirée de ses livres favoris et qui raffine encore et renchérit sur les instincts primitifs ; il se fait ce qu’on appelle une âme romanesque.

Le romanesque est un être très aimable qui nous