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Il est amateur de courses et volontiers spectateur de départs d’aviation ; il est, sauf quand il est atteint de paresse physique, très grand voyageur, les voyages étant, sinon tout à fait, comme a dit Emerson, « le paradis des sots », du moins le paradis de tous ceux à qui le don d’observer ou de méditer est refusé, ni la méditation ni même l’observation ne demandant plus de six kilomètres carrés pour se satisfaire.

Il est très volontiers conteur et conteur de soi-même. Il est celui qui dit le plus : « j’étais là, telle chose m’advint ». Il conte beaucoup, raisonne peu, ne réfléchit jamais et ignore le repentir. C’est un homme aimable dont la société est aussi agréable qu’elle est inutile, s’il est vrai, ce que l’on pourra contester, que ce qui est agréable puisse être inutile.

Le lecteur qui n’aime que le roman réaliste est généralement un esprit juste, droit, pondéré, qui a de bons yeux, un bon raisonnement, qui ne se trompera guère, que l’on ne trompera pas souvent et qui se tirera bien de l’affaire de la vie. Il a une tendance au pessimisme, ou plutôt, car le grand pessimiste est toujours un idéaliste froissé, il a une tendance à trouver tout médiocre, à bien compter là-dessus et à s’en accommoder sans trop de peine. Des hommes il se console par en médire et il est de ceux, signe d’âme triste et un peu mauvaise, pour qui la médisance est une consolation.

L’amateur de livres réalistes n’est pas très bon. Il