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raison. Cependant les hommes ne sont pas si différents les uns des autres qu’on ne puisse, avec un certain nombre d’observations personnelles, juger par comparaison des personnages que les auteurs nous présentent. Ce qui, dans la réalité, est à portée de nos regards est une moyenne de l’humanité. Ce que les auteurs mettent sous nos yeux, ce sont êtres qui, ou sont dans la moyenne de l’humanité, ou s’en écartent en étant supérieurs ou inférieurs à elle, mais doivent lui ressembler et sont de purs monstres d’imagination s’ils ne lui ressemblent pas. Vous avez donc les éléments nécessaires et suffisants pour juger de la vérité des peintures. Vous n’avez jamais vu le père Grandet ; mais vous avez connu tel avare, M. X…, et, en réfléchissant sur le père Grandet, vous vous dites : « …et il est très vrai ; Le père Grandet c’est M. X…, tel que serait celui-ci s’il était plus poussé, plus entraîné par la fougue de la passion, placé du reste, dans des conditions un peu différentes, dans une petite ville ou dans un village, etc. »

La lecture des romans suppose ainsi comme condition nécessaire du second moment, je veux dire de la réflexion qui juge, une assez grande connaissance des hommes, et je n’entends par là qu’une assez grande habitude d’observer les hommes autour de soi. Les jeunes ouvrières qui lisent les romans à très bon marché ne sont capables que de l’enthousiasme du premier moment, que de ce que j’ai appelé l’abandonnement ; le second