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CHAPITRE III

LES LIVRES DE SENTIMENT



Il est permis de lire un peu moins lentement les auteurs qui ont pour matière les sentiments de l’âme humaine, guère moins du reste. Là aussi il faut, sous d’autres formes, de la réflexion et même de la discussion et par conséquent tout le contraire de la hâte. Cependant ici, je suis tout à fait d’avis qu’il faut commencer par s’abandonner. L’auteur sentimental peint les sentiments du cœur moins pour les peindre que pour nous les inspirer. Il est un semeur de sentiments comme le philosophe est un semeur d’idées. Avant tout, il veut toucher. Toucher, c’est faire partager au lecteur les sentiments qu’on a prêtés à ses personnages ; c’est nous mettre, par une sorte de contagion, dans l’état d’âme et dans les divers états d’âmes des personnages qu’on a créés. Si l’auteur ne réussit point à cela, s’il ne touche pas du tout, laissons-le ; mais s’il nous touche un peu, ne résistons-pas, laissons-nous conduire à cet aimable guide, laissons-nous aller à l’impression, laissons-nous toucher, laissons-nous attendrir. Nous ne nous appartenons plus, il est vrai ; mais c’est peut-être pour cela que nous avons pris en main un romancier