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dans tous les détours et même dans toutes les hésitations de sa pensée ; il faut sentir l’objection se lever doucement dans notre esprit, mais la prier de ne pas éclater et d’attendre le moment où peut-être l’auteur se la sera faite lui-même, et le plaisir est très vif alors ; car d’abord nous sommes sûrs d’être bien en commerce intellectuel avec l’auteur, puisque nous l’avons prévenu, c’est-à-dire compris d’avance, et ensuite nous nous disons avec satisfaction que nous ne sommes pas indignement inférieurs à lui, puisque l’objection qu’il s’est faite, nous la lui faisions, c’est-à-dire puisque nous circulions dans sa pensée presque aussi largement, presque aussi aisément que lui-même.

Et les dangers de la discussion, il faut savoir les éviter comme dans une discussion privée. Il ne faut point nous obstiner dans notre sentiment, parce qu’il est notre sentiment ; et, parce que nous avons trouvé contre un raisonnement un peu faible de l’auteur un raisonnement assez fort, croire toujours avoir raison contre lui. Cela nous mènerait assez vite à une étroitesse d’esprit, à une sorte d’irréceptivité, si je puis dire ainsi, en vérité à une inintelligence acquise qui serait certainement la plus fâcheuse des acquisitions.

Certaines préférences à rebours sont à noter. Tel auteur est préféré par un lecteur, non pas parce que ce lecteur lui trouve l’esprit juste, mais parce qu’il lui trouve l’esprit faux, ce qui donne à ce lecteur le plaisir d’avoir toujours raison ou de croire toujours