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en contradictions ; mais je souhaite que les lecteurs sachent en trouver.

Par exemple, Jean-Jacques Rousseau, dans tous ses ouvrages, maudit l’influence de la société sur l’individu et souhaite passionnément que l’individu sache s’y soustraire ; et dans un seul il sacrifie l’individu à la société et souhaite impérieusement qu’elle l’absorbe. C’est une contradiction, sans doute, et pour mon compte j’en suis persuadé : les grandes idées générales dérivant toujours des sentiments, il est probable que Rousseau, dans la plupart de ses écrits, a tiré ses idées de sa passion pour l’indépendance et pour la solitude, et dans un de ses livres de sa passion, très honorable, pour la République de Genève. Mais en sommes-nous sûrs et sommes-nous certains même qu’il y ait contradiction ? Je sais des hommes de la plus haute intelligence qui n’en voient point ici et qui rattachent très ingénieusement le Contrat Social à l’œuvre tout entière, pour eux très une et très cohérente, de Rousseau. Je ne dis point qu’ils aient tort. En fait de contradiction, le premier plaisir du lecteur est d’en trouver, et le second plaisir du lecteur est de les résoudre. Il aiguise son esprit à les trouver et il l’affine plus encore à les faire disparaître ; il s’exerce à les faire lever ; il s’exerce plus encore à se démontrer à lui-même qu’elles n’existent pas et n’ont jamais existé. Tout cela est bon et tout cela est très agréable.

La suite des états d’esprit à cet égard est celui-ci :