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que ce que pense l’auteur ; je ne sais même pas quel plaisir ceux-ci peuvent avoir et je ne puis me le définir. Mais pour ceux qui sont entre les deux extrêmes, et c’est le cas, je pense, de la plupart d’entre nous, le livre, ce petit meuble de l’intelligence, ce petit instrument à mettre en activité notre entendement, ce moteur de l’esprit qui vient au secours de notre paresse et plus souvent de notre insuffisance, et qui nous donne la délicieuse jouissance de croire que nous pensons, alors que nous ne pensons peut-être pas du tout, le livre est un ami précieux et bien cher. Ne nous dissimulons point qu’il a ses défauts. On a dit qu’il ne trompe pas ; j’ai montré qu’il trompe souvent, puisque, par notre faute, à la vérité, il ne paraît pas du tout le même au bout d’un certain temps et nous déçoit.

On a dit qu’il n’est pas importun, oiseux, bavard, puisque c’est un bavard que l’on peut mettre à la porte, sans impolitesse, aussitôt qu’il nous ennuie. C’est une grave erreur ; car un livre peut nous irriter par son bavardage, et en même temps nous empêcher de le fermer, parce qu’il est intéressant et qu’entre deux bavardages on peut s’attendre à quelque chose de très fin qu’il serait fâcheux d’avoir perdu. Bien souvent un livre est tel qu’on voudrait que quelqu’un, qui fût vous-même, car on ne peut s’en reposer que sur soi, en eût marqué les passages intéressants et signalé particulièrement les pages d’une incontestable inutilité.