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avec les livres de pensées. Si je désire vivre encore quelques années, c’est dans l’espérance, bien ambitieuse du reste, de comprendre quelque chose à tel philosophe contemporain qui m’est fermé, et je veux dire à qui je suis fermé moi-même. Les penseurs incompris jadis se révèlent quelquefois brusquement. On dirait qu’on a trouvé une clef dans son esprit. C’est vrai. L’intelligence s’est fortifiée, ou, seulement enrichie, et dans Ergaste la clef a été trouvée qui nous ouvre Clitandre. Cette fois, la surprise nous est agréable ; nous nous trouvons plus forts et mieux armés ; les années nous ont raffermi. Elles nous deviennent chères, et nous leur sommes reconnaissants.

Mais ce n’est pas seulement chez les philosophes qu’il arrive que nous fassions des découvertes de ce genre et que nous récoltions regain de cette sorte. Chez les romanciers, chez les poètes, nous avons assez souvent de ces révélations tardives. L’émotion sentimentale est toujours moindre, l’émotion artistique est quelquefois beaucoup plus forte. On s’aperçoit, au bout de vingt ans, de trente ans, de quarante ans, qu’il y a des qualités de style qu’on n’avait pas aperçues, des qualités de composition dont on ne s’était point douté, parce que, du temps de la première lecture, on ignorait l’art. À propos d’un Werther en musique, il y a quelques années, averti par les observations de plusieurs critiques éminents de l’insignifiance et de la puérilité du Werther de Gœthe, je