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d’être l’homme d’un seul livre, le livre fût-il même d’un autre ; ce n’est qu’une circonstance atténuante.

Et enfin on relit, dessein plus ou moins conscient, pour se comparer à soi-même. « Quel effet ferait sur moi tel livre dont j’ai été féru dans ma jeunesse » est une parole qu’on se dit assez souvent à un certain âge. Revoir les lieux autrefois visités, les amis autrefois fréquentés, les livres lus jadis, est une des passions du déclin. Or, c’est précisément se comparer à soi-même ; c’est éprouver si l’on a toujours autant de facultés de sentir et si l’on a les mêmes.

L’effet de l’expérience n’est pas toujours très consolant, ni très agréable. Les beaux lieux vus autrefois paraissent ordinaires et avoir été surfaits par on ne sait qui. Les vieux amis paraissent un peu ennuyeux. Les beaux livres paraissent un peu décolorés. Pour ce qui est des vieux amis, s’ils paraissent ennuyeux, c’est peut-être qu’ils le sont devenus. Pour les lieux et les livres, ce ne peut pas être cela, et il faut bien que nous nous en prenions à nous-même. « J’admirais cela ! Où avais-je l’esprit ?… Hélas ! Je l’avais où il est ; mais je l’avais plus sensible et plus imaginatif. » L’impression devant un paysage ou devant un livre dépend de ce qui y est et de ce que l’on y met. Duquel le plus ? On ne sait. De tous les deux, à coup sûr. Or, ce paysage et ce livre ont certainement tout ce qu’ils avaient, moins ce que vous y mettiez et n’y mettez plus. Leur dépréciation mesure la vôtre. Ils sont eux moins vous. Rencon-