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Non, il faut se contenter d’un fond de discours qui n’aura d’ordinaire aucune originalité, qui sera d’emprunt plus ou moins adroit, et d’idées plus ou moins bien repensées — et d’une bonne disposition des parties, et d’un style sain, parfois agréable. Voilà tout ce qu’on peut demander à un très bon élève de première.

Dès lors ? Dès lors, je suis à peu près contraint à abandonner, pour ce qui est de l’enseignement, mon grand principe qui est de ne pas lire les critiques avant les textes. J’admets que, concurremment aux textes, pour « faire leurs devoirs », pour se préparer aux examens, pour donner à leurs esprits une culture générale, très superficielle, mais enfin une culture générale, les élèves des lycées lisent les critiques.

Mais, mon principe, je le reprends très vite pour leur dire : au moins pour ce qui est des grands auteurs dont vous avez le temps de lire les œuvres principales, lisez toujours l’auteur d’abord et le critique seulement ensuite, seulement après vous être fait de l’auteur une idée, quelle qu’elle puisse être, qui soit à vous.

De plus, cette habitude de lire presque concurremment, presque pêle-mêle, les textes et les critiques, surtout celle de lire les critiques et non les auteurs, perdez-la totalement, perdez-la énergiquement, dès que vous serez sortis du lycée. Elle est funeste en soi ; elle fait des sots ; elle fait en choses littéraires des hommes tout pareils à ceux qui, en politique récitent,