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Sadolet et d’Érasme quand il nous donnait à confectionner une lettre d’Érasme à Sadolet. Voilà tout. Nous n’avions pas, bien entendu, ni de Sadolet, ni d’Érasme lu un mot. Que pouvait être notre devoir ? Quelques lieux communs de morale ou de littérature, historiés de quelques particularités anecdotiques, précieusement recueillies de la bouche de notre professeur.

C’était très vide. Nos « discours historiques » l’étaient un peu moins ; car encore nous savions un peu plus d’histoire proprement dite que d’histoire littéraire ; nous n’avions pas lu Érasme ; mais nous connaissions un peu Henri IV, Louis XIV, Turenne et Condé.

On reconnut, vers 1880, l’inanité de cette méthode et de ses résultats ; on mit entre les mains des écoliers des critiques ; on leur fit des cours de littérature très mêlés et même chargés de critique ; on leur fit faire des dissertations sur le stoïcisme dans Montaigne et l’atticisme dans Molière ; — et alors ce fut bien pis.

Ce fut pis, parce que les enfants, incapables d’avoir assez lu Montaigne et Molière et de les avoir assez lus en critiques pour avoir des idées personnelles, des idées bien à eux sur le tour d’esprit particulier de Molière et de Montaigne, ne mettaient dans leurs devoirs que des lambeaux, quelquefois un peu démarqués, de Sainte-Beuve, de Brunetière, de Lintilhac. L’affligeante stérilité de ces exercices ne le