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L’historien littéraire ne doit pas plus en user ainsi que l’historien politique. Il ne doit connaître et faire connaître que des faits et des rapports entre les faits. Le lecteur ne doit savoir ni comment il juge ni s’il juge ; ni comment il sent, ni s’il sent. Le critique, au contraire, commence où l’historien littéraire finit, ou plutôt il est sur un tout autre plan géométrique que l’historien littéraire. À lui, ce qu’on demande, au contraire, c’est sa pensée sur un auteur ou sur un ouvrage, sa pensée, soit qu’elle soit faite de principes ou qu’elle le soit d’émotions ; ce qu’on lui demande, ce n’est pas une carte du pays, ce sont des impressions de voyage ; ce qu’on lui dit, c’est : « Vous vous êtes rencontré avec M. Corneille ; quel effet a-t-il fait sur vous ? Est-il entré dans vos idées générales sur la littérature et sur l’art d’écrire, ou les a-t-il contrariées, et par conséquent l’avez-vous hautement approuvé ou condamné sévèrement ? Si vous êtes plutôt et surtout ou même uniquement un homme de sentiment, de sensibilité, d’émotion, quelles émotions M. Corneille a-t-il excitées en vous, de quelle manière votre âme a-t-elle réagi, délicieusement ou douloureusement, ou faiblement, à rencontrer la sienne ; qu’est devenue votre sensibilité dans le commerce ou au contact de M. Corneille ?

— Mais vous m’interrogez autant, au moins, sur moi que sur Corneille ?

Certainement ! »

Voilà ce qu’est le critique. Peu s’en faut qu’il ne