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d’esprit où il m’aura mis ; si je dois, l’auteur lu après le critique, avoir la même impression que le critique seul étant lu, j’épargne du temps en lisant le critique seul.

Et c’est ainsi que Renan a très bien dit qu’un temps viendrait où la lecture des auteurs serait remplacée par celle des historiens littéraires. Il avait même l’air de n’être pas fâché en disant cela.

Il y a beaucoup de vrai dans ces observations et, je le dirai en passant, c’est bien pour cela que moi, très partisan de la lecture des auteurs eux-mêmes, j’ai souvent applaudi de tout mon cœur aux critiques prolixes. « Comment ! Celui-ci écrit deux volumes sur la Princesse de Clèves ; celui-ci cinq volumes sur Jean-Jacques Rousseau ! Tant mieux !

— Comment ? tant mieux ?

— Sans doute ! Le lecteur trouvera plus court de lire Rousseau lui-même ! »

Cependant il faut s’entendre. Distinguons d’abord entre l’historien littéraire et le critique proprement dit.

L’historien littéraire doit être aussi impersonnel qu’il peut l’être ; il devrait l’être absolument. Il ne doit que renseigner. Il n’a pas à dire quelle impression a faite sur lui tel auteur ; il n’a à dire que celle qu’il a faite sur ses contemporains. Il doit indiquer l’esprit général d’un temps d’après tout ce qu’il sait d’histoire proprement dite ; l’esprit littéraire et artistique d’un temps, ce qui est déjà un peu différent,