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Encore l’on sait fort bien que les esprits « forts » et les esprits « délicats » ne rient pas plus qu’ils ne pleurent et, quand il y a matière à hilarité, se contentent de sourire, rire à gorge déployée n’étant pas beaucoup moins que pleurer signe que l’on est conquis et en possession de l’auteur.

Tout de même, ou à peu près tout de même, admirer, c’est avouer que l’on est ébloui, fasciné, étourdi par le talent, l’habileté, l’adresse, la rouerie d’un auteur. On n’aime pas beaucoup avouer cela.

Voilà au moins quelques éléments de cet esprit critique dont parle La Bruyère et entendu comme il l’entend.

Or Martin a-t-il bien raison quand il dit : « le plaisir de s’empêcher d’avoir du plaisir » ? Non pas tout à fait ; car le pococurante ne s’empêche point d’avoir du plaisir ; il va bel et bien en chercher où il peut en trouver. Il se refuse le plaisir de l’admiration, sans doute, mais pour s’en donner un plus aigu et plus pénétrant qui est de se contempler n’admirant point et de se féliciter de n’admirer pas. N’en doutez point, Martin, c’est toujours son plaisir qu’on cherche et c’est-à-dire une activité psychique conforme au caractère que l’on a.

Mais si l’on a comme le choix, si, avec des penchants, comme tous les hommes, à l’orgueil, à la taquinerie, à la dispute, au désir de se distinguer, à l’horreur d’être dupe, on en a aussi à l’admiration ou simplement au plaisir de goûter les belles choses, il vaut