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comme dans une sorte d’impuissance de ne pas céder à son appel. Voilà qui est bien ; mais, à nous en tenir là, nous sommes encore loin de notre auteur, nous nous tenons à distance de lui, nous n’entrons pas dans son intimité ; tranchons le mot, nous ne le lisons pas. Approchons-nous, voyons de plus près. Que voyons-nous peu à peu ? Qu’il y a des nuances et que très souvent La Rochefoucauld dit : « toujours », mais qu’assez souvent aussi il dit : « quelquefois » ; qu’il est beaucoup moins tranchant au fond qu’il ne parait l’être au premier regard ; qu’il ne faut pas le voir comme un bloc. Il y a plus ; nous nous apercevrons bientôt, rien qu’en faisant mentalement une petite liste des vertus humaines, qu’il y a des vertus dont il ne parle pas et par conséquent des vertus qu’il ne nie point. Il ne nie point l’amour paternel, l’amour maternel ; et c’est probablement qu’il reconnaît qu’ils existent et à l’état pur. S’il dit : « si l’on croit que c’est par amour pour elle que l’on aime une femme, on est bien trompé », il ne dit point : « si une mère croit que c’est par amour pour lui qu’elle aime son enfant, elle se trompe ». Il n’a pas poussé jusque-là son scepticisme. Son scepticisme a donc des bornes. Eh bien ! traçons-les et, en délimitant la pensée de notre auteur, nous l’aurons mieux compris ; nous l’aurons compris. Lire un philosophe, c’est le relire si attentivement qu’on l’analyse.

Relisons encore celui-ci et apercevons-nous, ce qu’il