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seulement ils ne vont pas à la découverte, ce qui est un des plus grands plaisirs de la lecture, mais ils lisent dans un temps où, de quelque caractère durable que soit le livre et dût-il être immortel, il n’a plus sa nouveauté, sa fraîcheur, son duvet, sa concordance avec les circonstances qui, sans l’avoir fait naître, ont contribué du moins à sa formation et surtout lui ont donné en partie sa couleur. Le plaisir de lire un livre suranné est toujours un peu languissant.

Il l’est plus que celui de lire un livre très ancien. Le livre très ancien est franchement d’un autre temps, il a tout son caractère archaïque ; il peut plaire pleinement ainsi ; il peut n’en plaire que davantage. Il en est de cela comme des modes. Ce n’est pas la mode d’il y a vingt ans qui est ridicule ; c’est celle d’il y a deux ans. Celle d’il y a vingt ans est ancienne, celle d’il y a deux ans date, elle est surannée ; celle d’il y a vingt ans est entrée dans l’histoire ; celle d’il y a deux ans n’est pas entrée dans l’histoire et est sortie de l’usage et son ridicule est de se donner ou d’avoir l’air de se donner comme étant encore dans l’usage alors qu’elle en est sortie. Il en est de même des livres qui ont dix ans et qui n’ont pas l’avantage d’en avoir cinquante. Vous avez remarqué qu’après la mort de tous les grands écrivains il y a une dépréciation de quelques années. C’est qu’aux yeux de la génération qui existe à ce moment-là, l’écrivain qui vient de disparaître est