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il faut qu’un homme ait bien de l’esprit pour se faire pardonner de s’être dirigé du côté de la cheminée. La première impression est toujours hostile. Il a toujours à vaincre cette première impression. Autant en a à faire l’auteur, quel qu’il soit du reste.

Au fond, bien des lecteurs ne pardonnent d’écrire qu’aux rédacteurs des faits divers dans les journaux. Ceux-ci n’ont point de prétention à l’invention, ils n’en ont point à la composition, ils n’en ont point au style. Ils sont utiles ; ils renseignent. Voilà de bons écrivains. Ils ne se font pas centre. Ils ne se donnent point des airs d’hommes supérieurs. Ils ne demandent pas, plus ou moins secrètement, l’admiration. Ils n’excitent aucune jalousie. Voilà de bons écrivains. Les sociétés décidément démocratiques n’en admettront sans doute pas d’autres.

Au vrai, si l’on ne s’ennuyait pas, on ne ferait jamais cet acte d’abnégation et d’humilité d’ouvrir un livre. On se contenterait de ses pensées, en estimant qu’elles valent bien toutes celles qu’un autre peut avoir. La lecture est une victoire de l’ennui sur l’amour-propre.

Du moment qu’elle est cela, l’auteur est toujours un peu un ennemi et lui-même a à remporter sur l’amour-propre une victoire. Et donc l’amour-propre est un ennemi de la lecture, terrible quand il est amour-propre d’auteur, notable encore quand il est amour-propre de n’importe qui. Continuons de lire La Bruyère ; il connaît la