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naïve de romans se dit : « Quel beau caractère doit être ce monsieur Octave Feuillet », et est un peu amoureuse de M. Octave Feuillet ; pour le même motif et par contre, l’amour-propre de bien des lecteurs regimbe contre Octave Feuillet et dit en grondant : « Cet auteur se donne bien du mal pour me faire entendre qu’il a plus de délicatesse que moi. Quel prétentieux ! »

Et votre amour-propre est blessé et votre jalousie s’éveille comme contre quelqu’un qui a plus de succès que vous dans un salon.

Inversement le réaliste vous « touche », comme on disait quelquefois au XVIIe siècle, pour ne pas dire tout à fait blesser, ou au moins vous inquiète, quand il peint quelqu’un de ridicule qui pourrait bien être à peu près vous. Que de lecteurs ayant compris que Flaubert se moque d’Homais se sont dit : « Se railler d’un homme parce qu’il est anticlérical, ce n’est pas très fort ; après tout, moi je le suis et je ne suis pas si ridicule. Cet auteur écrit avec correction ; mais il est un peu impertinent. » L’amour-propre s’est éveillé et il est en garde.

Et, dans tous les cas, un auteur blesse ce sentiment profond d’égalité que nous avons tous. Il est un homme qui se détache de la troupe et qui prétend se faire admirer, au moins se faire écouter et nous divertir. Ce n’est pas une petite fatuité. C’est un homme qui dans un salon prend la parole ; c’est un homme qui dans un salon va du côté de la cheminée ;